ENTRETIEN MEDIABASK
Mediabask : Dimanche, les abertzale, c’est-à-dire les nationalistes ou patriotes basques, fêteront l’Aberri ou jour de la patrie basque. Cette fête existe depuis les années 1930. Quel sens a-t-elle pour un abertzale ?
Eguzki Urteaga : L’Aberri Eguna est organisée pour la première fois à Bilbao le 27 avril 1932, un dimanche de Pâques. A travers elle, le Parti Nationaliste Basque souhaite revendiquer la patrie basque, commémorer le cinquantième anniversaire de sa découverte par Sabino Arana, à la fois fondateur du Parti Nationaliste Basque et père fondateur du nationalisme basque, et protester contre le refus des Cortes de Madrid de rétablir les Fors. Ce premier Aberri Eguna rassemble 60 000 personnes. L’année suivante, cette fête a lieu à San Sebastien en présence de José Antonio Aguirre et Telesforo Monzon qui interviennent devant une foule abondante. Or, cette fête sera interdite dès 1937 et tout au long de la dictature franquiste qui s’achève en 1975 avec le décès du dictateur Franco. Au Pays Basque nord, le mouvement Enbata, qui se constitue en parti politique, organise son Assemblée Générale constituante le jour de l’Aberri Eguna en 1963. Et, dès l’année suivante, malgré son interdiction au sud de la Bidasoa, l’Aberri Eguna est organisée régulièrement de manière clandestine.
Mediabask : L’Aberri Eguna représente souvent la réalité politique du moment (le PNV le fêtera à Bilbao, la gauche indépendantiste à Iruña et à Saint-Jean-Pied-de-Port, et Podemos à Bilbao). Est-ce le reflet d’une patrie éclatée, dispersée, plurielle ?
Eguzki Urteaga : La multiplicité des Aberri Eguna est le reflet de la pluralité existante au sein du nationalisme basque, avec deux courants dominants : l’un représenté par le Parti Nationaliste Basque et qui promeut un nationalisme autonomiste, européen et démocrate-chrétien ; l’autre représenté par EH Bildu au sud et EH Bai au nord des Pyrénées et qui est favorable à un nationalisme indépendantiste et de gauche. Outre le fait d’avoir des visions et des stratégies différentes, ces deux courants sont des concurrents politiques, ce qui rend d’autant plus difficile l’organisation d’un Aberri Eguna unitaire. A cela s’ajoute le souci d’un nouveau parti politique comme Podemos de ne pas se couper de l’électorat nationaliste basque, ce qui l’amène à organiser un Aberri Eguna, sans se définir pour autant comme étant nationaliste ni indépendantiste et en donnant un contenu social à la patrie basque.
Mediabask : Les forces politiques du Pays Basque sud défendent des projets différents quant à l’avenir du statut institutionnel du Pays Basque. Quelles sont aujourd’hui les principaux points de désaccords ?
Eguzki Urteaga : Bien que le PNV et EH Bildu défendent des projets politiques différents en matière d’institutionnalisation et de gouvernement propre, la gauche abertzale a décidé de se rapprocher du Parti Nationaliste Basque, consciente du fait que la solution se trouvait au Pays Basque, qu’aucune majorité qualifiée ne pourrait se dégager sans le PNV et qu’il fallait accepter d’avancer de manière progressive. Ainsi, dans le débat sur le nouveau Statut d’Autonomie qui a lieu à l’heure actuelle au Parlement de Gasteiz, EH Bildu a accepté de partir des dispositions additionnelles de la Constitution espagnole et du Statut de Gernika et de se fonder sur les droits historiques du peuple basque pour revendiquer sa reconnaissance comme nation et son droit à décider de son avenir politique. L’objectif est à la fois de créer un ample consensus et de détacher le PNV du PSE et du PP qui sont ses actuels alliés.
Mediabask : Voyez-vous des conditions favorables pour que les partis politiques travaillent ensemble à l’avenir ? Dans le cas contraire, quelles sont les conditions indispensables ?
Eguzki Urteaga : Dès l’instant où l’ETA a mis un terme à son activité armée, qu’elle a procédé à son désarmement et qu’elle devrait annoncer prochainement sa démobilisation, et que la gauche abertzale s’est pleinement intégrée dans la vie politique et institutionnelle du Pays Basque sud, il ne devrait pas exister d’obstacle insurmontable pour parvenir à une collaboration étroite entre les deux principales forces nationalistes basques. Cependant, des divergences persistent sur les objectifs politiques et sur les manières de les atteindre. S’agit-il de renforcer l’autonomie ou d’accéder à l’indépendance ? Est-il question de recourir au réformisme, ce qui impliquerait de partir de la législation en vigueur pour la transformer, ou d’emprunter le rupturisme, dans l’éventualité où la législation serait un frein à l’expression et au respect de la volonté populaire ? A cela s’ajoute des intérêts partisans différents et des systèmes d’alliances aussi bien au niveau du Gouvernement Basque, des Députations Forales que de nombreuses Mairies.
Mediabask : Les syndicats ELA et LAB avaient annoncé le lancement d’un processus souverainiste unilatéral et social. Comment évolue cette proposition ?
Eguzki Urteaga : Cette proposition s’inspirait amplement de l’exemple catalan, à la fois quant au choix de la voie unilatérale et pour ce qui est de l’articulation entre la société civile, représentée notamment par les syndicats, les partis politiques et les institutions. Le problème est que les situations catalane et basque diffèrent amplement. D’une part, la société civile catalane est mieux organisée et plus forte que la société civile basque, en particulier au Pays Basque sud. D’autre part, il n’existe pas d’unité entre la société civile et les institutions ainsi qu’entre les principaux partis nationalistes basques. Il faut ajouter à cela les dissensions existantes actuellement entre ELA et LAB. En ce sens, nous ne sommes pas dans une situation comparable à 1998 où l’unité d’action entre les deux syndicats abertzale avait impulsé les Accords de Lizarra-Garazi.